mardi 21 février 2012

Traité de la peinture, de Léonard de Vinci



CHAPITRE PREMIER

Quelle est la première étude que doit faire un jeune Peintre.

         La perspective est la première chose qu’un jeune Peintre doit apprendre pour savoir mettre chaque chose à sa place , et pour lui donner la juste mesure qu’elle doit avoir dans le lieu où elle est : ensuite il choisira un bon maître qui lui fasse connaître les beaux contours des figures, et de qui il puisse prendre une bonne manière de dessiner. Après cela il verra le naturel, pour se confirmer par des exemples sensibles dans tout ce que les leçons qu’on lui aura données et les études qu’il aura faites, lui auront appris : enfin il emploiera quelque temps à considérer les ouvrages des grands maîtres, et à les imiter, afin d’acquérir la pratique de peindre et d’exécuter arec succès tout ce qu’il entreprendra.

         Les règles de la perspective dont les peintres font continuellement usage, et celles de l’architecture qu’ils sont souvent obligés d’employer, appartiennent les unes et les autres à la géométrie : or, la géométrie la plus simple et la plus élémentaire entraîne la nécessité de l’arithmétique, pour le calcul des angles et des côtés des figures.
         Cet art de représenter les objets sur un plan, selon la différence que l’éloignement y apporte, soit pour la figure et la couleur, est un des plus puissants prestiges de l’illusion que la Peinture fait à nos sens. Tous les peuples qui ont connu le dessin, ont dû avoir une idée plus ou moins juste et plus ou moins étendue de la perspective ; et les plus savants Peintres de l’antiquité, comme les modernes, ont possédé cette science par excellence.     
             La perspective est, ou spéculative, ou pratique.
         La spéculative est la théorie des différentes apparences ou représentations de certains objets, suivant les différentes positions de l’œil qui les regarde, les conséquences qui en dérivent appartiennent au simple raisonnement.
         La pratique est la méthode de représenter ce qui paraît à nos yeux, ou ce que notre imagination conçoit, et de le représenter sous une forme semblable aux objets que nous voyons : elle est soumise à des règles qu’un ne saurait étudier de trop bonne heure.
         Ce que nous venons de dire sur la perspective, suffit pour en faire connaître l’importance, et pour faire sentir que, sans aucune connaissance bien parfaite de cette science, il n’y a ni unité,  ni variété, ni proportion en Peinture.

CHAPITRE II
A quelle sorte d’étude un jeune Peintre se doit principalement appliquer.

Les jeunes gens qui veulent faire un grand progrès dans la science qui apprend à imiter et à représenter tous les ouvrages de la nature, doivent s’appliquer principalement à bien dessiner, et à donner les lumières et les ombres à leurs figures,  selon le jour qu’elles reçoivent et le lieu où elles sont placées.

         Le dessin est la base fondamentale des beaux-arts : C’est une imitation de tout ce qui est visible, faite avec des lignes.
         On entend par le dessin, non-seulement la forme particulière des corps, mais encore l’analogie de toutes les parties qui en forment l’ensemble, qu’on appelle proportion.
         On entend encore par le dessin, la précision du trait, la pureté et la finesse des contours.
         Le dessin a pour partage la forme, l’ensemble et la grâce.
         La forme d’un corps est exacte quand toutes les parties sont tracées avec netteté.
         L’ensemble est ce qui présente à la vue l’union de toutes les parties d’un corps dans la proportion qui lui est propre, et la grâce de l’ensemble naît des rapports et de l’harmonie des mouvements.
         C’est avec le dessin que l’on jette les premiers fondements de la science de peindre. Sans l’étude bien approfondie de cette partie de la Peinture, toutes les autres n’ont point de solidité : elle est si essentielle que pour en faire connaître l’importance, il faut s’appuyer d’une autorité.
         On dit qu’un jeune peintre de Bologne alla voir le Tintoret pour lui demander des avis ; le Tintoret se contenta, pour toute réponse, de lui dire qu’il fallait dessiner, ce qu’il lui répéta tant de fois qu’il lui fit bien comprendre que le dessin est la base et le fondement de tout cet art.

CHAPITRE III.

De la méthode qu’il faut donner aux jeunes gens pour apprendre à peindre.

Nous connaissons clairement que de toutes les opérations naturelles, il n’y en a point de plus prompte que la vue; elle découvre en un instant une infinité d’objets, mais elle ne les voit que confusément, et elle n’en peut discerner plus d’un à la fois. Par exemple, si on regarde d’un coup d’œil une feuille de papier écrite, on verra bien incontinent qu’elle est remplie de diverses lettres; mais on ne pourra connaître, dans ce moment-là quelles sont ces lettres, ni savoir ce qu’elles veulent dire : de sorte que pour l’apprendre, il est absolument nécessaire de les considérer l’une après l’autre, et d’en former des mots et des phrases. De même encore, si l’on veut monter en haut de quelque bâtiment, il faut y aller de degré en degré, autrement il ne sera pas possible d’y arriver. Ainsi, quand la nature a donné à quelqu’un de l’inclination et des dispositions pour la Peinture, s’il veut apprendre à bien représenter les choses, il doit commencer par dessiner leurs parties en détail et les prendre par ordre, sans passer à la seconde avant que d’avoir bien entendu et pratiqué la première; car autrement on perd tout son temps, ou du moins on n’avance guère. De plus, il faut remarquer qu’on doit s’attacher à travailler avec patience et à finir ce que l’on fait, devant que de se faire une manière prompte et hardie de dessiner et de peindre.
         L’habitude de l’ordre et de la méthode dans les premières études, facilite singulièrement pour l’avancement ; c’est le fruit de la patience, de la constance et du courage qui aide à vaincre les obstacles qu’on rencontre à chaque pas dans un art où plus on avance, plus on trouve de difficultés.
         L’art de la peinture, disait en grand maître, ressemble à une mer qui n’a point de bornes et qui paraît toujours plus grande à mesure que l’on vogue.

FIN DU CHAPITRE III

(LIRE LA SUITE SUR LE LECTEUR CI-DESSOUS)


Disponible sur Google Books : http://books.google.com/books?id=VyoGAAAAQAAJ&pg=PA184&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=3#v=onepage&q&f=false


ou sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/Search?ArianeWireIndex=index&p=1&lang=FR&q=l%C3%A9onard+de+vinci






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