CHAPITRE PREMIER
Quelle est la première
étude que doit faire un jeune Peintre.
La
perspective est la première chose qu’un jeune Peintre doit apprendre pour
savoir mettre chaque chose à sa place , et pour lui donner la juste mesure qu’elle
doit avoir dans le lieu où elle est : ensuite il choisira un bon maître qui lui
fasse connaître les beaux contours des figures, et de qui il puisse prendre une
bonne manière de dessiner. Après cela il verra le naturel, pour se confirmer
par des exemples sensibles dans tout ce que les leçons qu’on lui aura données
et les études qu’il aura faites, lui auront appris : enfin il emploiera quelque
temps à considérer les ouvrages des grands maîtres, et à les imiter, afin d’acquérir
la pratique de peindre et d’exécuter arec succès tout ce qu’il entreprendra.
Les règles de la
perspective dont les peintres font continuellement usage, et celles de l’architecture
qu’ils sont souvent obligés d’employer, appartiennent les unes et les autres à
la géométrie : or, la géométrie la plus simple et la plus élémentaire
entraîne la nécessité de l’arithmétique, pour le calcul des angles et des côtés
des figures.
Cet art de représenter les objets sur un plan, selon la
différence que l’éloignement y apporte, soit pour la figure et la couleur, est
un des plus puissants prestiges de l’illusion que la Peinture fait à nos sens. Tous
les peuples qui ont connu le dessin, ont dû avoir une idée plus ou moins juste
et plus ou moins étendue de la perspective ; et les plus savants Peintres de l’antiquité, comme les modernes, ont
possédé cette science par excellence.
La
perspective est, ou spéculative, ou pratique.
La spéculative est la théorie des différentes apparences ou
représentations de certains objets, suivant les différentes positions de l’œil qui
les regarde, les conséquences qui en dérivent appartiennent au simple
raisonnement.
La pratique est la méthode de représenter ce qui paraît à nos
yeux, ou ce que notre imagination conçoit, et de le représenter sous une forme
semblable aux objets que nous voyons : elle est soumise à des règles qu’un ne
saurait étudier de trop bonne heure.
Ce que nous venons de dire
sur la perspective, suffit pour en faire connaître l’importance, et pour faire
sentir que, sans aucune connaissance bien parfaite de cette science, il n’y a
ni unité, ni variété, ni proportion en
Peinture.
CHAPITRE II
A quelle sorte d’étude un
jeune Peintre se doit principalement appliquer.
Les jeunes gens qui veulent faire un grand progrès dans
la science qui apprend à imiter et à représenter tous les ouvrages de la
nature, doivent s’appliquer principalement à bien dessiner, et à donner les
lumières et les ombres à leurs figures,
selon le jour qu’elles reçoivent et le lieu où elles sont placées.
Le dessin est la base
fondamentale des beaux-arts : C’est une imitation de tout ce qui est visible,
faite avec des lignes.
On entend par le dessin, non-seulement la forme particulière
des corps, mais encore l’analogie de toutes les parties qui en forment l’ensemble,
qu’on appelle proportion.
On entend encore par le dessin, la précision du trait, la
pureté et la finesse des contours.
Le dessin a pour partage la forme, l’ensemble et la grâce.
La forme d’un corps est exacte quand toutes les parties sont
tracées avec netteté.
L’ensemble est ce qui présente à la vue l’union de toutes
les parties d’un corps dans la proportion qui lui est propre, et la grâce de l’ensemble
naît des rapports et de l’harmonie des mouvements.
C’est avec le dessin que l’on jette les premiers fondements
de la science de peindre. Sans l’étude bien approfondie de cette partie de la
Peinture, toutes les autres n’ont point de solidité : elle est si essentielle
que pour en faire connaître l’importance, il faut s’appuyer d’une autorité.
On dit qu’un jeune peintre de Bologne alla voir le Tintoret
pour lui demander des avis ; le Tintoret se contenta, pour toute réponse, de lui
dire qu’il fallait dessiner, ce qu’il lui répéta tant de fois qu’il lui fit
bien comprendre que le dessin est la base et le fondement de tout cet art.
CHAPITRE III.
De la méthode qu’il faut
donner aux jeunes gens pour apprendre à peindre.
Nous connaissons clairement que de toutes les opérations
naturelles, il n’y en a point de plus prompte que la vue; elle découvre en un
instant une infinité d’objets, mais elle ne les voit que confusément, et elle n’en
peut discerner plus d’un à la fois. Par exemple, si on regarde d’un coup d’œil
une feuille de papier écrite, on verra bien incontinent qu’elle est remplie de
diverses lettres; mais on ne pourra connaître, dans ce moment-là quelles sont ces lettres, ni savoir ce qu’elles
veulent dire : de sorte que pour l’apprendre, il est absolument nécessaire de
les considérer l’une après l’autre, et d’en former des mots et des phrases. De
même encore, si l’on veut monter en haut
de quelque bâtiment, il faut y aller de degré en degré, autrement il ne sera
pas possible d’y arriver. Ainsi, quand la nature a donné à quelqu’un de l’inclination
et des dispositions pour la Peinture, s’il veut apprendre à bien représenter
les choses, il doit commencer par dessiner leurs parties en détail et les
prendre par ordre, sans passer à la seconde avant que d’avoir bien entendu et
pratiqué la première; car autrement on perd tout son temps, ou du moins on n’avance
guère. De plus, il faut remarquer qu’on doit s’attacher à travailler avec patience
et à finir ce que l’on fait, devant que de se faire une manière prompte et
hardie de dessiner et de peindre.
L’habitude de l’ordre et de
la méthode dans les premières études, facilite singulièrement pour l’avancement
; c’est le fruit de la patience, de la constance et du courage qui aide à
vaincre les obstacles qu’on rencontre à chaque pas dans un art où plus on
avance, plus on trouve de difficultés.
L’art de la peinture, disait en grand maître, ressemble à
une mer qui n’a point de bornes et qui paraît toujours plus grande à mesure que
l’on vogue.
FIN DU CHAPITRE III
(LIRE LA SUITE SUR LE LECTEUR CI-DESSOUS)
FIN DU CHAPITRE III
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