L’enfant doit apprendre à regarder et à rendre compte de ce qu’il a vu.
– Les ardoises. – Les lattes. – Les modèles dits Fröbel. – Les modèles
représentant des objets usuels. – Les dessins d’imagination. – Comment la
directrice fera faire l’exercice du dessin. – Le dessin sur les cahiers.
Le dessin a été considéré pendant longtemps, lui aussi,
comme un art de luxe.
Certes, il est agréable de savoir dessiner ; toute personne
comprenant la nature serait heureuse de fixer sur un album le souvenir des
paysages qu’elle a admirés ; dans les soirées d’hiver, dans les longues
journées de convalescence, le dessin est un compagnon, presque un bienfaiteur.
Mais, si nous l’étudions au point de vue pédagogique, il est plus, il est mieux
que cela, car il fait naître et développe la faculté d’observation. Aussi lui
donnons-nous une place d’honneur dans nos écoles maternelles.
Prenons deux enfants, dont l’un passe auprès des objets
sans les voir, qui laisse errer son regard et son esprit dans le vague, un de
ces enfants qui répond : « Je ne pense à rien », toutes les fois qu’on lui
demande : « A quoi penses-tu? » – et un autre qui s’intéresse aux choses,
qui veut tout voir avec les yeux et avec les doigts. Il est évident que les
progrès intellectuels du second seront plus rapides que ceux du premier ; il
est évident aussi que l’éducation a des devoirs à remplir envers ces deux
enfants : elle devra habituer l’un à regarder autour de lui, puis à
examiner ; elle devra empêcher l’autre de tout regarder à la fois, de se
contenter d’un coup d’œil superficiel.
Mais quel procédé employer pour l’un et pour l’autre ?
leur donnera-t-elle simplement des conseils ?
Non ! la directrice exercera l’enfant à décrire ce qu’il
a vu.
Pour décrire, il faut avoir des mots à sa disposition,
et, quelque simple que soit l’objet, le vocabulaire d’un enfant de trois ou
quatre ans est trop pauvre pour que celui-ci puisse ébaucher même une
description.
C’est alors que l’ardoise et le crayon entrent
utilement en scène ; l’enfant essaye de reproduire sur l’ardoise ce qu’il a
devant les yeux. Je sais qu’au début c’est presque toujours informe, horrible.
Qu’est-ce que cela me fait ? Que l’enfant regarde, qu’il voie, le reste viendra ensuite.
L’ardoise et le crayon sont en scène, ils doivent y rester,
de même que le tableau noir. La directrice vient de raconter une histoire, ses
petits auditeurs ont été intéressés, plusieurs lui en ont rendu compte, tel
détail passé inaperçu de l’un a justement frappé l’esprit de l’autre,… qu’elle
fasse dessiner par chacun des enfants la scène dont il s’est le mieux rendu compte,
et l’histoire tout entière finira par vivre
véritablement devant eux. Je vous le répète, au point de vue du dessin, ce sera
horrible ; mais, je vous le répète aussi, cela ne me fait rien, parce que je
suis sûre que le mieux viendra. Ce qui me préoccupe avant tout, c’est le but à
poursuivre et à atteindre. Si aujourd’hui les éditeurs nous donnent des livres
illustrés d’images, – même les livres d’arithmétique, – est-ce pour qu’ils
soient plus jolis, pour qu’ils frappent davantage l’œil ? Peut-être ! Mais c’est
surtout pour que l’image vienne au secours de la phrase imprimée, c’est parce
que nous faisons véritablement de l’enseignement par les yeux, persuadés que nous
sommes que, lorsque l’enfant a vu, il a presque toujours compris. J’en conclus
que le tableau noir et la craie doivent être inséparables d’un bon enseignement ;
un seul trait en dit souvent plus qu’une longue phrase.
Crayonner est un des bonheurs des enfants. Je crois
que c’est, après le sable, ce qu’ils aiment le mieux ; les ardoises
devront être posées à leur portée, de manière qu’ils puissent les atteindre
toutes les fois qu’ils le désirent. Les bonnes tables ardoisées réalisent sur
ce point notre idéal. J’ai vu des enfants de quatre ans racontant une histoire
et reproduisant la scène sur l’ardoise, grâce à une série de points : « Ce
gros-là, c’est le papa, puis voilà la maman, plus petite, et tous les enfants
qui vont à la promenade. »
Mais ce sont là des idées générales, des « aperçus ».
C’est que je voudrais établir d’abord l’utilité
pédagogique du dessin tant pour les instituteurs que pour les enfants. Je
voudrais que les directrices fussent bien convaincues qu’il excite et développe
l’esprit d’observation, qu’il donne de la rectitude à l’œil, qu’il est, en même
temps qu’un plaisir, un des meilleurs moyens de faire l’éducation des doigts,
qu’il est enfin un des plus utiles auxiliaires de l’instituteur.
Bien des raisons, vous le voyez, militent en faveur du
dessin à l’école maternelle, et toute directrice digne de ce titre ou qui
aspire à s’en rendre digne doit dessiner elle-même et faire dessiner ses petits
élèves. Le dessin doit entrer comme exercice régulier dans l’emploi du temps de
l’école maternelle ; tous les enfants des deux sections devront dessiner tous les
jours.
Le dessin, dit le règlement du 2 août, sera d’abord la
reproduction sur l’ardoise des figures faites sur la table, à l’aide de lattes
ou de bâtonnets.
Rien de plus simple : une latte placée en long, en large,
en diagonale donnera les trois différentes espèces de lignes droites, dont les
noms sont inaccessibles et inutiles aux enfants, à ceux, surtout de la première
section.
Que de combinaisons déjà avec deux lattes ! En écrivant
la phrase qui précède, j’en ai ébauché dix ! A plus forte raison si nous
augmentons le nombre des lattes.
Ces combinaisons peuvent être faites par des enfants de
trois ans, si cela les amuse.
Revenons à notre premier exercice. L’enfant a placé
une latte sur sa table dans le sens vertical. La directrice reproduit la ligne
au tableau noir ; tous les enfants la tracent sur l’ardoise. Cette ligne
est effacée, tant sur l’ardoise que sur le tableau ; les petits élèves la
tracent de nouveau sur leur ardoise. De même pour l’horizontale, de même pour l’oblique,
de même pour les combinaisons de lattes qui seront faites dans les exercices
suivants.
Nous le répétons : dans les premiers jours, les petites
mains malhabiles ne traceront que des choses informes, mais les directrices ne
devront pas s’en effrayer, se dire que c’est impossible ; nous leur assurons au
contraire que « cela viendra ». Cela est déjà venu dans beaucoup d’écoles
maternelles : les directrices ont trouvé dans le dessin un élément
éducatif très sérieux et les enfants un passe-temps agréable.
La reproduction sur l’ardoise des figures faites au
moyen de lattes est beaucoup plus facile pour l’enfant que celle d’un modèle
tracé préalablement au tableau noir. C’est lui-même qui a fait cette figure, il
sait de combien de lattes elle se compose, il se rappelle dans quel ordre il
les a posées, par quel point elles touchent l’une à l’autre. Bientôt il
comprendra le modèle fait au tableau ; c’est vraiment là ce que nous appelons
aller du connu à l’inconnu.
Autant que possible, il faut que ces figures composées
à l’aide de lattes représentent des choses que l’enfant connaît, dont il sait
parler. Deux lignes parallèles, verticales, en tant que parallèles et verticales,
n’ont pour lui aucun intérêt ; mais, si elles deviennent les deux montants de
la porte ou les deux cordes pendantes du gymnase, ce sont pour eux de vieilles
connaissances qu’ils prennent plaisir à reproduire. Si ces parallèles sont
horizontales, ce seront les rails du chemin de fer. Deux lignes droites formant
des angles aigus, obtus, représentent différents écartements du bras et de l’avant-bras.
C’est très important ! les enfants feront de la géométrie, et de la bonne, sans
s’en apercevoir, en s’amusant ; le tout est de savoir s’y prendre. Avec trois
lattes ils feront une chaise, quelle joie ! Il y a là une mine pour une directrice
intelligente et de bonne volonté.
L’enfant de la seconde section peut comprendre le modèle
fait sur le tableau.
Quelle collection choisira la directrice ? Les modèles
dits Frœbel, c’est-à-dire surtout du dessin d’ornement ? Je ne crois pas devoir
l’y engager, si ce choix devait être exclusif. Certes, il est bon de savoir
faire un carré, puis dans ce carré une étoile, et d’enserrer carré et étoile
dans une ligne courbe ; l’enfant réussit même très bien ce genre-là ; mais il
préfère de beaucoup – c’est un fait acquis – les objets qu’il voit, dont il se
sert, qui sont ses choses ; ensuite l’habitude
de ces dessins devient une routine ; l’observation n’a plus rien à faire, le
travail est tout machinal ; enfin ce genre de modèle laisse de côté ce qu’il
y a de plus utile dans l’enseignement du dessin, je veux parler du sens des
proportions relatives des objets.
J’engage donc les directrices à varier : qu’elles
ajoutent à quelques dessins d’ornement un plus grand nombre de modèles
reproduisant des objets usuels, et qu’une fois par semaine elles fassent faire
un dessin d’imagination, c’est-à-dire ce que chaque enfant « voudra »
faire. Il serait même bon, ce jour là, de retourner l’ardoise du côté non
quadrillé, pour que l’enfant fût tout à fait livré à lui-même.
Mais les modèles ! il faut qu’ils soient faits aux tableaux noirs ; j’emploie le
pluriel avec intention, parce qu’un seul tableau est tout à fait insuffisant, surtout
dans les écoles où les élèves travaillent encore aux bancs latéraux. Ces
modèles doivent être faits en présence des enfants, et bien en vue, – cette
recommandation est moins puérile qu’elle ne le semble, – bien en vue de tous
les petits dessinateurs.
On ne se rend pas toujours compte qu’un modèle, bien
éclairé pour un groupe d’enfants, est dans l’ombre pour un autre groupe. La
directrice doit donc s’assurer que tout le monde voit ; pour cela, il faut qu’elle
s’assoie aux bancs, à plusieurs places successives, qu’elle se fasse aussi
petite que ses petits élèves.
Et puis, pour le dessin comme pour toute chose, l’enfant
doit être guidé ; il faut surveiller la tenue, rectifier les lignes mal faites.
Naguère encore – c’est-à-dire avant le sectionnement – les uns dessinaient pendant
que les autres lisaient, et, comme, avec la meilleure volonté du monde, une
directrice ne peut être partout, ni la lecture ni le dessin n’étaient vraiment
surveillés.
Voici comment il faut procéder : Les enfants
munis de leurs ardoises et de leurs crayons – de la façon la plus expéditive, –
la maîtresse se met devant le tableau noir, tout
noir ; elle dessine un trait, en indiquant bien la manière de s’y
prendre. « Dessinez ce trait », dit-elle aux enfants. « Montrez vos
ardoises, sans sortir de vos places... » D’un coup d’œil ou d’un mot elle
encourage ceux qui ont bien fait ; elle va vers l’enfant qui n’a pas réussi, le
fait recommencer sous sa direction, amène l’enfant paresseux à travailler
aussi, puis elle dessine le second trait.
« C’est bien long ! » pense-t-on peut-être. Pas autant
qu’on pourrait le croire. C’est une question de discipline, d’habitude à
prendre, d’éducation en un mot. Ce qui m’a le plus frappée dans les écoles
maternelles de Londres, c’est que tous
les enfants exécutaient l’exercice indiqué. A l’heure du pliage, tous pliaient ; à l’heure du dessin, tous dessinaient.
Le dessin se fait à l’ardoise, mais nous ne réprouvons
pas – comme luxe ou comme récompense, une fois par semaine – l’usage des
cahiers. Nous verrons avec plaisir les directrices mettre dans les mains des enfants
des crayons de différentes couleurs. Un cahier bien fait – par l’élève –fait plaisir aux parents un jour de fête ou le premier
janvier; or, tout jeune encore, il est bon que l’enfant comprenne que l’on n’a
de vrai bonheur que celui que l’on fait aux autres.
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C'était un chapitre de :
L'éducation maternelle à l'école
Troisième partie : Section des grands
CHAPITRE XIII, L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN
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Voir aussi le site : Le temps des instituteurs
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source de l'image : http://www.educol.net/coloriage-petit-enfant-dessine-i11879.html
L'ouvrage de Pauline Kergomard, L'éducation maternelle dans l'école, paru en 1886, a contribué à installer définitivement en France l'idée d'école maternelle.
I- Education
I- Education
1.
L'école maternelle - 2. Le local - 3. Qu'est-ce qu'une école maternelle
? - 4. L'école maternelle éducatrice - 5. L'école maternelle mixte - 6.
L'éducation, ensemble de bonnes habitudes - 7. Education morale
II- La section des petits
8. Eléments éducatifs dont dispose l'école maternelle
9. Le sectionnement
Voir aussi l’article « Maternelles
(Ecoles) » de P. Kergomard dans le dictionnaire Buisson de 1911 : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3142)
11. La lecture (numérisé par Michel Delord)
12. L'enseignement du chant
13. L'enseignement du dessin
14. Les récits historiques
15. Leçon de choses
16. Le calcul (numérisé par Michel Delord)
17. La géographie
18. Résumé
12. L'enseignement du chant
13. L'enseignement du dessin
14. Les récits historiques
15. Leçon de choses
16. Le calcul (numérisé par Michel Delord)
17. La géographie
18. Résumé
source image : http://www.amazon.fr/Pauline-Kergomard-Alain/dp/2912470226/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1320492026&sr=1-2
PAR
Mme
P. KERGOMARD
INSPECTRICE
GÉNÉRALE DES ÉCOLES MATERNELLES
LIBRAIRIE
HACHETTE ET Cie, PARIS, 1886
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