Cet article de Maurice Pellisson est paru dans la Revue pédagogique, tome 54, premier semestre 1909.
La Réforme de l’Enseignement du Dessin
Le Conseil supérieur de l’instruction publique, dans
sa dernière session, a examiné et adopté de nouveaux programmes pour l’enseignement
du dessin dans les lycées et collèges de garçons et de jeunes filles. Il ne s’agit
pas ici de simples remaniements et retouches. A la méthode qui, depuis bientôt
trente ans, était la méthode officielle, on substitue une méthode, non
seulement nouvelle, mais contraire; c’est une réforme d’ensemble et fondamentale.
Il vaut donc la peine de rappeler les circonstances qui l’ont préparée, comment
elle a abouti, et de marquer en quoi précisément elle consiste.
I
C’est seulement depuis 1853 que le dessin a une place
dans le cadre des disciplines universitaires. Cette année-là, un arrêté du 21
juin nomma une commission chargée de présenter au ministre de l’Instruction
publique, qui était alors Fortoul, un plan d’études pour l’enseignement du
dessin dans les lycées. Par un règlement du 29 décembre 1853, le programme
élaboré et qui avait été précédé par un rapport de Ravaisson fut rendu exécutoire.
Sans vouloir la juger à d’autres égards, il faut dire
que cette première démarche eut surtout le défaut d’être très incomplète : on
créait un nouvel enseignement, mais on ne se préoccupait pas du recrutement des
maîtres qui devaient le donner, et on ne leur attribuait qu’une situation fort
au-dessous du médiocre. On pourrait dire que les nominations de professeurs de
dessin se firent alors au hasard, si, le plus souvent possible, on n’avait
donné la préférence à d’anciens élèves de l’École des Beaux-Arts. Mais ceux-là
mêmes étaient, en général, des artistes qui avaient trouvé le succès rebelle et
ne tenaient l’enseignement que pour un pis-aller. Jamais, au reste, personne ne
leur avait appris à enseigner et l’état d’infériorité où on les avait placés
vis-à-vis de leurs collègues était peu fait pour leur inspirer le goût de leur
nouvelle profession. Eussent-ils eu à mettre en œuvre les programmes les plus
parfaits, il y avait bien peu de chances pour que, dans ces conditions, ils
pussent obtenir des résultats. En fait, ils n’en obtinrent pas, comme le savent
ceux qui étaient sur les bancs du lycée en ce temps-là. L’enseignement du dessin,
ce fut alors une étiquette, pas autre chose.
Cependant les expositions internationales qui se
succédaient montraient à la France que presque tous les peuples se préoccupaient
de plus en plus d’organiser et de développer cet enseignement à tous les
degrés, que partout, de plus en plus, on tendait à considérer le dessin comme
une partie essentielle de l’éducation générale. Notre pays où, depuis 1871, se
manifestait une sorte de ferveur pédagogique, ne pouvait rester indifférent à
ce mouvement; et il se mit à y participer en 1879. Cette fois, suivant les
leçons de l’expérience, on commença par le commencement : avant de rédiger des
programmes, on prit des mesures pour former un personnel qui serait en état de
les appliquer. Bardoux étant ministre, un arrêté du 31 janvier 1879 institua le
corps des inspecteurs de l’enseignement du dessin et, immédiatement, une
première inspection fut faite dans toute la France par les 19 inspecteurs
nommés. Cette inspection, qui eut plutôt le caractère d’une vaste enquête, se
proposa pour objet de faire connaître quelles étaient les ressources, surtout
en hommes, dont on pouvait disposer, quels étaient les besoins, quelles les
lacunes. Presque en même temps s’ouvrait une première session d’examen pour l’obtention
du diplôme de professeur de dessin; de plus, un Musée pédagogique de l’enseignement
du dessin était créé et installé dans les bâtiments de l’Administration des
Beaux-Arts. C’est seulement après
tout ce préalable que Jules Ferry, qui avait succédé à Bardoux au ministère de
l’Instruction publique, nomma une grande commission d’étude dont la tâche
consista, après avoir dépouillé les résultats de l’enquête des inspecteurs
généraux, à étudier les méthodes en usage, à les discuter et à dégager de cette
étude une méthode définitive, à rédiger les programmes et à dresser la liste
des modèles considérés comme étant les meilleurs pour mettre en pratique la
méthode et les programmes proposés.
Après examen, la commission d’étude fixa son choix sur
la méthode que préconisait le sculpteur Eugène Guillaume : on la connaît sous
le nom de méthode géométrique et cette désignation, suffisamment explicite, est
en même temps fort juste. Voici, en effet, ce qu’Eugène Guillaume écrivait dans
un article publié, il y a près de trente ans, dans le Dictionnaire de Pédagogie.
« Dans le monde on ne pense le plus souvent au dessin que pour le
considérer dans ses applications aux beaux-arts. On ne sait pas que c’est avant
tout une science qui a sa méthode, dont les principes s’enchaînent
rigoureusement et qui, dans ses applications variées, donne des résultats d’une
incontestable certitude. Or aucune certitude ne doit être négligée et devenir
vaine, et s’il existe véritablement un ensemble méthodique de règles au moyen
desquelles on arrive à exécuter avec sûreté tous les tracés possibles, il est
évident que la connaissance et la pratique de ces règles doivent former la base
de l’enseignement du dessin... La géométrie, en nous enseignant que les
surfaces et les solides sont bornés par des lignes, nous donne l’idée la plus
claire et la plus complète du dessin, qui réside dans les contours... En dernière
analyse, dans la pratique comme dans la théorie, il faut reconnaître que la
géométrie est la base de la science du dessin. » C’est d’après ces principes
que furent rédigés les programmes non seulement pour les lycées et collèges,
mais pour les écoles primaires élémentaires, les écoles primaires supérieures,
les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices; c’est la méthode
Guillaume qui, depuis 1880,
a été la méthode officielle dans tous les établissements
d’instruction publique en France.
Qu’elle ait rendu des services, on ne saurait le
contester. Grâce elle, l’enseignement du dessin est sorti de l’état inorganique
où il était longtemps demeuré. Voilà le résultat qu’on ne put pas ne pas
reconnaître lors de l’Exposition universelle de 1889 ; voilà ce que M. J.-J.
Pillet, un lieutenant d’Eugène Guillaume, constatait avec une satisfaction
légitime : « Dans toutes les écoles de France, écrivait-il, on enseigne le
dessin d’après un seul programme, et les professeurs, jadis désunis et livrés à
eux-mêmes, forment un personnel qui compte parmi les mieux recrutés et les plus
sévèrement contrôlés ». Et il ajoutait : «
Pourvu que l’on continue dans la même voie, que l’on ne laisse pas s’endormir
les bonnes volontés, et surtout que l’on ne change rien aux programmes, on peut
affirmer que le moment est proche où les résultats les plus sérieux de tant d’efforts
accomplis vont être obtenus, seront constatés, par la nation et se
manifesteront par un élan puissant imprimé à la production industrielle et artistique
du pays ».
Tout en ne disant rien que de juste du personnel formé
nouvellement, M. Pillet se faisait illusion sur l’avenir de l’enseignement du
dessin tel qu’il était donné. L’heure approchait où ces programmes, qu’il
souhaitait voir établis ne variatur, allaient être battus en brèche. A l’heure même de son
triomphe, la méthode d’Eugène Guillaume avait été critiquée vivement par
Ravaisson : « Les figures des êtres vivants ou, ce qui est la même chose,
organisés, ne pouvant se calculer ni se construire rationnellement, comme
celles qui ressortissent à la géométrie, nous les estimons par une action
indécomposable de l’intelligence tout autre que la déduction dont se servent
les mathématiques, action qu’on appelle soit intuition, d’un terme qui signifie
vue, soit jugement, soit sentiment... Si l’on recherche ce que furent les
premières ébauches de l’art grec, où apparut tout d’abord le caractère de son
génie, on verra que ce ne furent point des figures froidement régulières comme
celles auxquelles est bornée la géométrie, mais des imitations de choses
vivantes, avec les formes souples et vivantes qui leur sont propres. Pourquoi
donc imprégner d’abord l’imagination de l’idée de la plus pauvre et de la plus
aride des figures à laquelle elle inclinera toujours par suite à ramener toutes
les autres ? » Telles étaient les
objections que Ravaisson, aux environs de 1880, élevait contre la méthode
géométrique. Il est vrai que, par une inconséquence singulière, ce partisan de
la méthode intuitive finissait par déconseiller l’étude d’après nature, au
moins au début : « Les premiers modèles ne peuvent guère être empruntés à la
nature, comme on l’a quelquefois proposé. Pour ne rien dire de la variété des
couleurs, qui y rend les formes et le clair-obscur difficiles à saisir, les objets
naturels offrent presque toujours trop d’imperfections. »
Il est vrai aussi que, grand métaphysicien, Ravaisson
n’était
pas un professionnel du dessin. On ne l’écouta donc point.
Mais, lorsqu’on entendit nombre d’industriels se
plaindre que les jeunes gens formés par la méthode officielle dessinaient très médiocrement,
on commença à s’inquiéter ; lorsqu’on s’aperçut du meilleur succès obtenu avec
les programmes de dessin de la Ville de Paris, qui procèdent plus de la méthode
expérimentale que de la méthode géométrique, cela donna fort à penser.
D’autre part, le personnel enseignant, par cela même
qu’il avait été amélioré, devenait moins disposé à rester inerte et passif.
Plus instruits que par le passé, mieux préparés à leur tâche, les professeurs
de dessin avaient meilleure opinion de leur rôle, prenaient plus de goût à leur
métier. Longtemps isolés, ils éprouvaient le besoin de se grouper ; l’Association
des professeurs de dessin de la Ville de Paris date de 1897 et bientôt, à son
exemple, des Amicales du même genre se formèrent dans plusieurs ressorts
académiques. En se rapprochant ces maîtres, longtemps muets, ne purent plus se
tenir bouche close ; ils souhaitèrent pouvoir se communiquer leurs expériences
et leurs idées ; un journal spécial fondé en 1897, le Moniteur du Dessin, devint pour eux une sorte de
tribune pédagogique. Le Congrès international de l’Enseignement du dessin, tenu
à Paris lors de l’exposition universelle de 1900, fit voir que ce personnel n’était
plus à l’état de poussière, qu’il était capable de discuter et de travailler en
commun. A vrai dire, dans ce Congrès, il ne se produisit pas de critique
directe de la méthode Guillaume; mais on put pressentir qu’elle perdait du
terrain, en voyant avec quelle faveur on accueillit les rapports de certains
délégués étrangers qui exposaient les méthodes fort différentes en usage dans
leurs pays. Le Congrès international de Berne, en 1904, fortifia cette
impression. Dans la préface du Compte rendu de ce Congrès (Fribourg,
1905), le président du Comité d’organisation, M. Léon Genoud, écrit ce qui suit
: « On a pu constater au Congrès de Berne que l’enseignement du dessin a été,
depuis quelques années, l’objet d’une vraie révolution dans la plupart des pays
du monde. Presque partout l’enfant a été mis en présence de la nature ; on lui
fait observer ce qui l’entoure ; on l’habitue à se servir du dessin comme de la
langue, même pour rendre compte d’une anecdote ou des grands faits de l’histoire. » Enfin, au premier Congrès
national de l’Enseignement du Dessin, tenu à Paris en 1906, les adversaires de
la méthode géométrique remportèrent un avantage signalé : M. Pillet, Président
du Congrès, à l’issue de la session, demanda que la méthode intuitive, pour
laquelle M. Quénioux, professeur à l’École des Arts décoratifs, faisait
campagne depuis quelque temps, fût officiellement expérimentée ; et l’expérience,
autorisée par M. le Vice-Recteur de l’Académie de Paris, eut lieu aux lycées
Michelet, Lakanal et à l’École Alsacienne.
Les choses, dès lors, vont aller d’un pas plus rapide.
A la fin de 1907, les professeurs de dessin, par l’intermédiaire de l’Union de leurs Amicales,
demandèrent à M. le Ministre de l’Instruction publique de nommer une
commission, composée d’inspecteurs de l’enseignement du dessin, de professeurs
de l’Université, qui aurait à étudier les réformes nécessaires : réforme de
méthode, des programmes d’études, des examens du professorat, de l’inspectorat.
— En 1908, comme pour préparer le terrain, ont été organisées au Musée
pédagogique des conférences, suivies de discussions,
où l’on examina l’ensemble des questions qui intéressent l’enseignement du
dessin. Le débat porta surtout sur la méthode intuitive, dont M. Quénioux fit
un exposé très clair et très vivant, et de ce débat une conclusion au moins se
dégagea de la façon la plus nette : ce fut la condamnation de la méthode
Guillaume : « Même ceux, a dit M. Pottier, qui se sont présentés ici comme les
partisans de cette méthode ont été aussi sévères que les autres, car ils ne
défendent pas ce qui s’est fait pendant si longtemps ; ils viennent seulement
plaider les circonstances atténuantes ». — La série de ces conférences venait à
peine de se clore, quand, suivant le vœu de l’Union des Amicales, une commission de réforme
fut nommée par M. le Ministre de l’Instruction publique, sur la proposition de
M. Gautier, Directeur de l’enseignement secondaire; car, pour l’heure présente
du moins, la réforme s’applique à l’enseignement secondaire seul. Composée de
quinze membres, MM. Ardaillon, Catelain, Cathoire, Colin, de Fourcaud, Guébin,
Luc Olivier-Merson, Pillet, Pottier, Quénioux, Rocheblave, Mmes Bastien,
Silvain-Dufour, et MM. Mallet et Sabatié, secrétaires, cette commission se mit
à l’œuvre sans délai et, dans un temps relativement court, put venir à bout de
sa tâche. C’est le résultat de son travail, approuvé par le Conseil supérieur
de l’Instruction publique, que nous allons maintenant essayer de faire
connaître par une rapide analyse.
II
Les nouveaux programmes sont précédés d’un rapport
rédigé par M. Pottier. Il s’ouvre par une partie critique, où il est rendu
compte des raisons qui ont décidé la commission à se prononcer contre la
méthode Guillaume. La critique de la commission est tout d’abord dirigée contre
les principes mêmes sur lesquels cette méthode est fondée : enfermer l’enfant
pendant de longues années dans l’étude des lignes et des angles, des courbes et
des solides géométriques, avant de lui permettre d’aborder le dessin des formes
vivantes qui, même alors, ne doivent être étudiées que d’après des estampes et
des plâtres, la commission estime que, sans la chercher plus loin, on peut
trouver là la cause de la stagnation de l’étude du dessin. De plus, les Instructions
naguère rédigées ou, tout au moins, inspirées par Eugène Guillaume, tendaient
à l’élimination presque absolue du sentiment et ne demandaient rien tant à l’élève
que d’arriver à rendre l’objet sous des formes mathématiquement exactes :
véritable hérésie éducative, car « au début l’étude du dessin s’adresse à des
enfants très jeunes, pour qui les questions de mesures, de distances, de
proportions sont encore très difficiles à comprendre, tandis que les qualités
visibles de formes et de couleurs leur sont naturellement accessibles ». Le
sentiment étant ainsi éliminé, le dessin ne pouvait plus être qu’impersonnel;
et c’était bien à cela qu’on visait; on le concevait comme une figuration
graphique « dont tous les éléments sont déterminés d’avance, comme un problème
d’observation dont la solution est identique pour tous et dont les résultats
sont contrôlés au moyen d’opérations d’une rigueur absolue ». Or, au gré de la
commission, une telle conception du dessin est nuisible au développement
éducatif de l’enfant. Car, « si l’éducation collective offre un danger, c’est
assurément de jeter dans le même moule tous les esprits », et les bons maîtres
sont précisément ceux qui s’efforcent de conjurer ce péril et qui y
réussissent.
Après ces trois chefs d’accusation, qui touchent au
fond même de la méthode Guillaume, le rapport critique sa pédagogie ou plutôt
la partie de sa pédagogie relative au matériel d’enseignement, plus
spécialement aux modèles. A l’heure actuelle, les classes de dessin sont
souvent encombrées de solides en fil de fer ; sans prétendre qu’il faille s’en
défaire, la commission considère qu’il sera bon d’en réduire le nombre. De même
la liste des plâtres, qui aujourd’hui ne comprend pas moins de 174 numéros,
devra être ramenée à un chiffre beaucoup moins élevé. Cette mesure s’impose d’autant
plus que, trop nombreux, les modèles en plâtre ont été aussi mal choisis, si on
les considère soit au point de vue historique, soit au point de vue artistique.
Ici, il y a manque, là, il y a excès. Tandis, par exemple, que l’art égyptien n’est
représenté que par quatre bas-reliefs, tandis qu’il n’y a pas un seul spécimen
de l’art de la Chaldée, de l’Assyrie, de la Perse, on a multiplié les œuvres
gréco-romaines, de l’époque hellénistique, bien plus on en a admis dont, non
seulement la valeur, mais l’authenticité même a été contestée, et ce qui est
encore plus grave peut-être, on ne s’est pas interdit les modèles restaurés.
L’élimination de ces œuvres douteuses permettra de
faire, dans la collection des plâtres, une place plus large à l’art français,
depuis le moyen âge jusqu’aux temps modernes. En effet, sur ce point encore, la
liste des modèles présente de bien fâcheuses lacunes. Elle ne comprend que
quelques chapiteaux, rosaces et frises de nos églises, alors que la collection
du Trocadéro rend si faciles le choix et l’acquisition de belles figures
sculpturales taillées par nos vieux imagiers.
Ces observations critiques une fois faites, viennent
les Instructions positives. Elles sont présentées avec une netteté telle
qu’elle rend tout commentaire presque inutile. Nous nous contenterons donc d’en
détacher les points principaux, en citant le texte même.
En premier lieu est posé un principe en vertu duquel,
lorsqu’il sera appliqué, l’enseignement du dessin, demeuré longtemps comme en
marge, se trouvera vraiment incorporé à l’éducation universitaire : « L’enseignement
du dessin dans les lycées et collèges de l’État ne peut pas être séparé des
autres enseignements; il doit se conformer à la méthode générale des programmes
adoptés de 1902 à 1905. Dans les classes enfantines, préparatoires et
élémentaires, l’instruction est principalement fondée sur des leçons pratiques
et concrètes. Peu à peu, à mesure que l’intelligence de l’enfant se développe,
la théorie et les connaissances abstraites prennent plus de place dans l’éducation.
Il est clair que l’enseignement du dessin doit évoluer dans le même sens. » La
courbe qu’il aura à suivre est ainsi comme toute tracée; après avoir accompagné
et fortifié les humbles leçons de choses, « il s’élèvera à des exercices d’observation
plus compliqués pour aboutir enfin au développement du sens esthétique et à l’intelligence
des œuvres d’art ».
Pour qu’il puisse remplir une telle destination, une
seule méthode est possible : celle qui, « à l’imitation des anciens et des
grands maîtres, prend pour base l’observation directe de la nature, c’est-à-dire
des objets réels et des formes vivantes». Il faut surtout bien entendre que,
lorsqu’on parle d’observation directe de la nature, on prétend n’exclure aucun
élément naturel, qu’on envisage non seulement la représentation des formes,
mais aussi celle des couleurs et des reliefs. Partant l’écolier ne sera plus
condamné à n’avoir d’autre outil que le crayon à la mine de plomb. « Tous les
procédés pratiques peuvent être employés : dessin au trait, emploi des crayons
de couleur, de l’encre de Chine et de l’aquarelle, modelage. »
En mettant ainsi à la disposition des élèves tous les
procédés de traduction, on a surtout pour objet de favoriser le libre jeu de
leurs facultés diverses; en contact avec la nature sous toutes ses formes,
libres de l’observer par les aspects qui les touchent le plus, de l’interpréter
par tous les moyens pratiques qui peuvent être employés, le sentiment n’est
plus étouffé chez eux; ils sont comme invités à produire l’impression
personnelle qu’ils reçoivent du modèle. D’autre part, à l’aide de certains
exercices appropriés (illustrations de jeux d’enfants, de récits d’histoire, de
fables et de contes), on encourage leurs facultés imaginatives Enfin, comme on
l’a bien dit, on a ainsi «une éducation vraiment complète des sens et de l’esprit
dans leur contact avec la richesse des choses perçues ».
Au reste, il ne faut pas croire que la méthode
géométrique soit frappée d’une éviction absolue ; vient une heure où elle peut
prendre légitimement sa place dans l’enseignement du dessin; cette place, on ne
la lui refuse pas. « A mesure que l’enfant grandit et que son intelligence
mûrit, le maître s’attachera de plus en plus aux qualités d’exactitude et de
correction dans le rendu des modèles. » Et ce moment sera précisément marqué
par la marche des études générales ; il viendra quand le professeur de dessin
pourra utiliser « les notions de mathématiques et de géométrie, acquises dans d’autres
classes, pour insister sur les questions de mesures, de proportions, de
perspective ».
Il convient, en outre, que la marche parallèle entre
les diverses matières de l’enseignement ne soit pas établie sur ce seul point;
il importe de coordonner le dessin à l’ensemble des autres études. Par exemple,
on profitera des programmes d’histoire « pour aborder l’étude des œuvres du
passé, pour parler de l’art égyptien, assyrien, grec, romain, français, en
plaçant dans la classe quelques modèles bien choisis... Les études des sciences
naturelles peuvent aussi fournir matière à des choix de modèles intéressants. »
Dans le paragraphe de son rapport qu’il intitule : Compléments
aux Programmes actuels, M.
Pottier se trouve alors naturellement amené à déplorer « la lacune profonde que
présente l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées de garçons et de
filles ». Il lui paraît qu’il est logique de lier l’histoire de l’art à l’enseignement
du dessin. Toutefois, il ne s’agit pas, selon lui, « d’en faire l’objet d’un
cours proprement dit, qui serait confié au professeur de dessin ». Il suffirait
pour l’heure présente et « il serait facile, au cours du second cycle et outre
les notions générales données par le maître de dessin, d’organiser quelques
leçons spéciales, portant sur les grandes époques de l’art, qui seraient faites
par un professeur du lycée, quel qu’il soit, pourvu qu’il ait la compétence
nécessaire, soit par une personne du dehors, ainsi que cela se pratique déjà
dans certaines écoles normales ». Dans tous les cas, il est indispensable de
faire quelque chose ; car « il est temps que l’histoire de l’art français s’incorpore
à l’enseignement français du dessin, au moment où la classe de dessin cherche à
s’incorporer elle-même aux autres classes du lycée et réclame l’honneur de
faire sa partie dans l’œuvre totale de l’éducation nationale ».
Comme on voit, le rapporteur de la Commission ne perd
jamais de vue cette idée que le dessin ne doit plus être réduit à une technique
étroite et spéciale, mais qu’il faut le tenir pour une pièce essentielle de
notre système éducatif. Voilà pourquoi il exprime instamment le vœu qu’il ne
reste facultatif dans aucune classe de l’enseignement secondaire, ni
pour les garçons, ni pour les filles. On sait de reste, en effet, que les
élèves sont trop portés à considérer comme inexistant tout enseignement facultatif.
Actuellement, le dessin cesse d’être obligatoire pour les jeunes gens dans les
sections A et B de la classe de première, pour les jeunes filles en quatrième
et cinquième années.
Pour l’avenir de la réforme, pour qu’elle puisse produire tous ses effets, il
est très souhaitable que cette disposition soit modifiée.
En outre, si l’on ne veut pas manquer le succès, il
faut qu’une autre mesure soit prise sans tarder. — On n’ignore pas que la
méthode nouvelle, que les programmes nouveaux répondent aux vœux de beaucoup de
maîtres, que plusieurs, pénétrés de leurs tendances, en ont déjà fait l’essai
et, plus ou moins discrètement, en ont tenté l’application avant l’heure de la
consécration officielle. Pourtant, on ne peut se le dissimuler, c’est à un
personnel ancien, dont certains membres peuvent avoir, sinon leurs préjugés, au
moins leurs habitudes, que l’on demande de faire une œuvre nouvelle. La
Commission a donc considéré qu’une refonte des programmes d’examen pour le
professorat du dessin était le corollaire indispensable de la réforme des
programmes, et, bien qu’elle n’eût pas pour office d’examiner cette question,
elle a jugé qu’elle ne pouvait se dispenser d’en indiquer l’importance.
Pendant la période de transition qui s’écoulera jusqu’au
jour où le personnel sera renouvelé, le personnel en exercice ne sera, d’ailleurs,
pas abandonné à lui-même. «Nous ne pouvons, dit M. Pottier, songer à refaire de
fond en comble l’éducation de professeurs qui, souvent depuis de longues années,
pratiquent l’enseignement ; à ceux-là nous ne pouvons donner que des conseils
et des exhortations pour modifier et améliorer leur méthode.
» C’est parler avec beaucoup de modestie. Si l’on examine le détail des
nouveaux programmes, on voit en effet que chacune de leurs parties est
accompagnée d’Instructions, présentées
sous une forme brève, mais qui n’en forment pas moins un guide pédagogique très
complet, à l’aide duquel le professeur peut marcher sans crainte de faire
fausse route. Avec raison l’on n’a pas cru devoir se borner à des directions
générales; on n’a pas dédaigné de donner des indications qui, très circonstanciées,
attestent le sens le plus juste et le plus pénétrant de ce qui se peut et doit
obtenir. Tout permet donc d’espérer que la réforme, malgré ce qu’elle offre de
radical, pourra sans grandes difficultés entrer dans la pratique. Au début,
sans doute, quelque flottement est inévitable; mais il ne saurait se prolonger.
L’orientation générale a été marquée de façon trop nette et trop ferme pour n’être
pas bientôt comprise et suivie : « En toutes choses le maître se persuadera que
le meilleur moyen de réussir est de faire aimer la pratique du dessin, d’en
inspirer le goût par des exercices appropriés à chaque âge. La plus grande
liberté et la plus grande initiative lui sont laissées, sous sa propre
responsabilité, pour découvrir les moyens de rendre le dessin attrayant et
pratique. En tant qu’éducateur il a pour tâche de développer : 1° la
sensibilité de l’enfant pour qu’il apprenne à aimer ce qui est beau ; 2° la
personnalité de l’enfant, pour qu’il apprenne à voir et à penser par lui-même
Le bon maître devra exciter plus que
critiquer, suggérer plus que corriger, proposer plus qu’imposer, se régler sur
l’allure de ses élèves et s’adapter à leur mesure, au lieu de les régler tous
sur la sienne. » Les professeurs de dessin ont prouvé dans ces derniers temps
que la conception de leur rôle s’était relevée dans leur esprit; on leur
propose là une tâche assez intéressante pour qu’ils ne soient pas tentés de s’y
dérober et d’y faillir.
III
Au cours des discussions qui ont précédé l’adoption
de la réforme, diverses objections ont été émises que nous ne saurions passer
sous silence et qu’il convient d’examiner.
On a dit d’abord que la méthode nouvelle, en voulant s’appuyer
sur la personnalité de l’enfant, bâtissait dans le vide, se condamnait à rester
comme en l’air : car « la personnalité existe très peu chez les enfants ». C’est
une objection d’ordre psychologique ; c’est une question de fait. Il se peut qu’elle
ne soit pas encore complètement tranchée. Pourtant il nous semble bien que,
pour la plupart, les observateurs de l’âme enfantine sont disposés à trouver en
elle les marques d’une personnalité, sinon très forte, du moins nettement
distincte. Sans doute, si l’on donne au mot de personnalité le sens de volonté,
de caractère, il n’en peut être question chez les enfants ; mais ils ont des
instincts, des goûts qui sont propres à leur âge; c’est là précisément ce dont
la méthode nouvelle a affaire, ce qu’elle prétend stimuler, diriger, former,
faisant en cela, d’ailleurs, le même office que les autres disciplines.
D’autres accordent que la personnalité existe bien
chez l’enfant, mais ils contestent qu’il faille s’appliquer à la développer :
car, on est ainsi conduit, disent-ils, à mettre l’enseignement individuel à la
place de l’enseignement général, à faire prévaloir la fantaisie sur la règle, à
tomber en plein dans l’anarchie. Ceux-là, ce sont les autoritaires : Eugène
Guillaume naguère avait très clairement exprimé le fond de leur pensée, quand
il disait : « N’est-ce pas un danger de faire appel à l’initiative et à l’indépendance,
quand il ne conviendrait que d’ordonner et de discipliner les esprits ?» Pour
répondre à cela, il faudrait ici reprendre tous les arguments qui ont été
allégués dans le débat général entre la pédagogie d’autorité et la pédagogie
libérale. Nous n’avons ni assez d’espace ni assez de loisir pour essayer rien
de pareil. Qu’il nous suffise de faire remarquer que, depuis déjà longtemps,
les éducateurs autoritaires ont été contraints de battre en retraite sur
presque tous les points, que de plus en plus la pédagogie moderne s’inspire de
l’idée de Montaigne , disant que le bon maître ne doit pas tenir son élève en
bride, mais le faire trotter devant lui pour juger de son train. Ajoutons qu’entre
l’ordre et la liberté l’antagonisme n’est peut-être pas aussi irréductible que
les esprits tranchants se plaisent à le prétendre, et remarquons de plus que
les promoteurs de la nouvelle méthode, tout en s’inspirant surtout de la
liberté, ne lui ont pas cependant sacrifié l’autorité d’une façon absolue, mais
que, très sagement, ils visent plutôt à ]a conciliation des deux principes.
Les réformateurs trouvent aussi un groupe d’adversaires
chez ceux qui ne veulent pas entendre parler d’enseignement attrayant. Vouloir
que les enfants prennent du plaisir à dessiner, c’est, à leur compte, faire un
amusement de ce qui doit être une étude. Ils rappellent le temps où le dessin
était tenu pour un art d’agrément et ils montrent le néant des résultats alors
obtenus. — A vrai dire, la méthode
Guillaume a rendu service en réagissant contre cette conception du dessin ;
mais n’a-t-elle pas poussé la réaction trop loin, quand elle en a fait presque
un « art de désagrément » ? Il n’est pas douteux non plus que l’enseignement
attrayant comporte des abus qu’il faut éviter, qu’il est une mesure où il doit
se tenir, qu’il y aura toujours une part de vérité dans l’opinion de Galiani
soutenant qu’une des fins de l’éducation, c’est d’apprendre aux enfants à
supporter l’ennui. Mais, tout pesé, les abus de l’enseignement attrayant ne
sont pas inévitables ; il n’est pas du tout impossible qu’il garde la juste
mesure. D’autant que cette sorte d’enseignement ne date pas d’hier ; depuis l’époque
où les maîtres d’école de la Rome antique donnaient aux petits enfants des
lettres figurées en ivoire pour qu’ils apprissent l’alphabet en se jouant, on a
eu tout loisir de le mettre à l’épreuve, d’en observer le fort et le faible, et
il est devenu assez aisé de se garder des inconvénients qu’il peut offrir.
Ces objections, comme on le voit, ne s’appliquent pas spécialement
à la méthode nouvelle d’enseignement du dessin, mais à des tendances générales
de la pédagogie moderne. Il en est d’autres qui serrent le sujet de plus près,
qui ont un caractère plus topique. Celles-là viennent plutôt du côté des
artistes que des éducateurs. « Vous prétendez, dit-on aux réformateurs, donner
une éducation esthétique aux écoliers, former en eux le sens des choses de l’art,
développer le goût du beau. Bone Deus ! quelle malencontreuse entreprise
! Ne trouvez-vous donc pas qu’il est déjà assez de gens qui, à tort et à
travers, se mêlent de juger les tableaux et les statues? Cette engeance insupportable
de dilettantes instruits moins qu’à moitié, grâce à vous, nous allons la voir
pulluler plus encore. Il y a pire ; vous mettez à la disposition de vos jeunes
élèves tout le matériel de l’artiste; vous les invitez à s’essayer dans tous
les genres de travaux que l’artiste exécute. Qu’en arrivera-t-il ? que, chaque
année, les lycées et collèges lâcheront par le pays des légions de
peintres-amateurs. L’espèce en est-elle donc aujourd’hui si rare ? Trouvez-vous
vraiment qu’on en chôme? Vous avez, on le sait bien, les plus nobles intentions
du monde : vous songez à relever le niveau du goût public. C’est son
abaissement que vous préparez. Quand vos potaches auront attrapé quelques
bribes d’histoire de l’art, la critique des bourgeois ne sera guère plus éclairée
et montrera plus de pédantisme; quand tout collégien maniera le pinceau, c’en
sera fait de cette sainte pudeur que l’artiste sent devant l’œuvre à exécuter.
» On ne saurait nier qu’il y ait quelque chose de fondé dans ces appréhensions
; mais leur exagération est manifeste. Certes il y aura de petits nigauds qui,
pour avoir lavé quelques aquarelles, brossé quelques toiles et appris quelques
termes d’art, joueront à l’artiste et au critique. Mais, parce que des lycéens
échappés envoient aux journaux de mauvaise copie, brochent des romans ou des
volumes de vers illisibles, faut-il donc supprimer l’exercice de la composition
française et la lecture des grands poètes? La suffisance, l’outrecuidance sont
des travers de caractère que manifesteront toujours ceux qui en sont atteints, quelque
enseignement qu’ils aient reçu. Il n’en reste pas moins que, plus un
enseignement sera intelligent et vivant, plus il profitera aux esprits sensés
et modestes, à ceux qui ont de la distinction. C’est cette élite qui travaillera
au relèvement du goût public ; c’est elle que l’on veut mettre mieux en mesure
d’y travailler avec succès.
Reste enfin ce que j’appellerai l’objection de la
dernière heure, car elle a été présentée par M. Louis Hourticq dans un article
publié par le Journal des Débats à la fin du mois de décembre 1908. Au
gré de M. Hourticq, les réformateurs de l’enseignement du dessin ont pris des
soins bien inutiles; leurs efforts resteront fatalement sans résultat, parce
que le système général des études secondaires va à leur encontre. Ce système,
en effet, ignore le langage des formes et oblige les écoliers à tenir leurs
yeux fermés. « Il arrive à des aveugles de s’engager dans le cycle de nos
études secondaires et on les admire de ce qu’ils montrent sur leurs condisciples
une supériorité marquée. On ne réfléchit pas qu’il ne leur manque aucune des
facultés utilisées et cultivées par notre enseignement; ils ne voient pas ;
mais leurs camarades ne doivent pas regarder. Leur mémoire verbale se développe
naturellement beaucoup, ce qui convient à un enseignement grand assembleur de
mots et contempteur d’images. L’Université est une douairière qui parle bien,
mais qui a la vue basse... » Et M. Hourticq poursuivant son propos, « parmi les
nombreux maîtres, dit-il, qui parlent successivement devant les élèves,
celui-là seul exerce sur eux une forte empreinte qui est le plus souvent avec
eux et leur enseigne une matière importante du programme. Ce n’est jamais le
professeur de dessin. Au maître de littérature, d’histoire ou de sciences, il
revient de mêler constamment à son enseignement des notions plastiques et l’usage
du dessin; l’éducation tout entière doit être imprégnée de préoccupations
visuelles ; alors on apprendra à dessiner comme on apprend à lire et à écrire,
sans y songer. Le professeur de dessin n’aura plus qu’à enseigner la syntaxe de
cette langue entrée dans l’usage. » Tant qu’on n’en sera pas venu là, il n’y
aura rien de fait et rien ne se pourra faire. En somme, d’après M. Hourticq, la
réforme de l’enseignement du dessin doit être précédée par une réforme générale
de l’esprit, des visées, des procédés de tous les enseignements divers. Ce n’est
pas peu.
On entend bien que M. Hourticq ne s’est pas interdit
de se jouer en écrivant son article. Tout de même il y a quelque chose à en
retenir. Quand il dénonce le verbalisme de l’enseignement secondaire, la
critique est outrée, mais ne porte pas complètement à faux, et il est très bien
de vouloir que l’Université s’applique à ne plus « sacrifier chez ses élèves toute
la part d’intelligence et de sensibilité qui est commandée par le sens visuel
». Il faut reconnaître aussi qu’il serait excellent « que les professeurs d’histoire
ou de lettres fussent dessinateurs », qu’il y aurait profit pour la culture
générale des enfants, si ces maîtres savaient « expliquer au tableau la théorie
du temple grec, ou même les mérites plastiques de l’École d’Athènes ». Mais on
n’en est pas là, il s’en faut; la transformation du personnel enseignant, que
M. Hourticq appelle de ses vœux, ne peut se faire en un jour ni d’un seul coup.
C’est une entreprise de longue haleine. En dépit de M. Hourticq, il ne nous
semble pas que la réforme de l’enseignement du dessin n’en doive être de
nécessité que l’aboutissement; nous croyons, au contraire, qu’elle en peut très
bien marquer le point de départ. Voilà justement, croyons-nous, quelle a été la
pensée directrice des auteurs du nouveau programme; elle se fait assez
clairement entendre par le soin qu’ils ont pris d’établir une coordination
entre les classes de dessin et celles des autres professeurs. Dans l’édifice
universitaire, le dessin jusqu’à présent n’occupait tout au plus qu’une annexe
; les portes aujourd’hui lui sont toutes grandes ouvertes; il est de la maison.
Sans avoir l’esprit chimérique, on peut espérer qu’insensiblement il pourra en
changer l’air.
*
* *
Que l’on retienne plus ou moins des critiques que nous
avons rappelées, on ne peut nier en tout cas que, par l’esprit qui l’inspire,
la réforme de l’enseignement du dessin se rattache au mouvement en vertu duquel
l’Université tend à restreindre de plus en plus la part de l’abstraction. L’abstraction,
on s’efforce de la réduire à la portion congrue, même dans son domaine propre.
Qu’on se rappelle l’article que M. J. Tannery écrivit ici même sur l’Enseignement
de la Géométrie : « C’est, disait-il, sur les choses qu’ils [les débutants]
auront à raisonner; il faut les habituer à regarder les choses.... Loin de leur
apprendre à se défier de l’intuition, il faut développer cette intuition, leur montrer
qu’ils la possèdent, leur donner peu à peu confiance en eux-mêmes. Il faut,
avant tout, les intéresser : l’ennui, la dépression qui en résulte, voilà le
véritable ennemi. » On ne peut songer sans surprise que l’enseignement qui, par
sa nature, comporte le moins l’abstraction, où l’intuition est le mieux à sa
place, ait été le dernier à marcher dans le sens de la pédagogie moderne. Mais
enfin cette évolution est accomplie et, désormais, l’enseignement du dessin a
la même orientation que les autres disciplines et est remis en harmonie avec
les directions pédagogiques du système général des études universitaires. Il n’est
pas douteux que ce soit là un principe de force. C’est ce que M. Belot a fait
ressortir dans le Rapport sur la réforme qu’il a présenté au Conseil supérieur.
Pour terminer cet article, nous ne saurions mieux faire que de citer les lignes
qui servent de conclusion à ce remarquable travail : « Si, dit M. Belot, nous
avons remplacé dans l’enseignement des langues une méthode tout analytique et
toute grammaticale par une méthode plus directe et plus vivante, si nous ne
voulons plus une histoire faite de dates et où traînent des cadavres d’événements,
mais un tableau animé de la vie des peuples et des institutions, si la
philosophie même tend à s’écarter d’une vaine scolastique et d’une dialectique
abstraite pour aspirer à n’être que l’intelligence directe du monde et de l’homme,
si enfin dans toutes les choses de la nature ou de l’esprit nous ne voulons
plus voir des mécanismes faits de pièces rapportées, mais le mouvement
incessant de la vie et de la pensée, nous devons aussi accueillir avec
sympathie le programme qui est proposé à votre acceptation et à la bonne
volonté de nos maîtres. Il s’inspire des mêmes principes, il reflète le même esprit,
il est en harmonie avec l’ensemble de l’œuvre éducatrice que nous voudrions
parfaire. »
MAURICE PELLISSON.
Dans le
Dictionnaire de Pédagogie,
article
DESSIN.
M. Catelain, professeur de
dessin au lycée Buffon, a adressé à M. le Directeur de l’Enseignement
secondaire un Rapport sur l’Exposition de dessins d’élèves qui a été faite à
Londres, en 1908. Ce Rapport manuscrit, dont on a bien voulu nous donner
communication, rend fidèlement compte de la transformation de l’enseignement du
dessin, à l’étranger. Sur ce que ce mouvement fut en Allemagne dans les vingt
dernières années, nous nous permettons de renvoyer à l’article que nous avons
publié dans le numéro de la
Revue pédagogique d’août 1902.